Pardon
De vous arracher à vos nouveau-nés, mères sacrifiées, de les entasser dans des containers,
tels de vulgaires marchandises, de les assoiffer, les sous-alimenter pour embellir leur chair
morte, les enfermer, isolés dans des cages où ils ne pourront ni bouger, ni s’allonger,
terrorisés, en proie aux intempéries, jusqu’à leur fin atroce dans une usine de la mort
Je baisse les yeux devant ce massacre, je ne peux je ne veux entendre leurs beuglements
esseulés désespérés qui déchirent le ciel
Pardon
De vous élever sous des lumières artificielles, de vous soulever avec des grues, de regarder
vous écraser dans un bruit sourd sur le sol en bitume d’un port lointain, de vous pendre,
molosses agonisants, la tête en bas pour attendre une mort lente, votre sang qui s’écoule
goutte après goutte, de vous tuer sans prendre la peine de vous étourdir, en vous rouant de
coups de pied, de poings, par défoulement ou égarement
Je me recroqueville pour oublier ces images cauchemardesques, vos regards brisés qui
cherchent un réconfort dans les marasmes de notre cruauté
Ne pourrez-vous jamais nous pardonner?
Pardon
De vous nourrir avec des restes d’animaux alors qu’herbivores, de vous greffez des hublots,
de vous gaver sans répit, de vous cloîtrer dans des espaces exigus et sales, de vous laisser
agoniser dans vos excréments, d’ignorer vos plaies béantes, de vous laisser mourir
d’épuisement, de vous saturer d’antibiotiques, de vous inséminer à un rythme effréné, de
vous condamner lorsque vous n’êtes plus fertiles ni rentables, de couper la queue à vos
bébés, de les castrer dans d’inacceptables souffrances
Je m’évade je m’enfuis loin de ce monde qui a perdu la raison, je renie cette humanité
tortionnaire qui crache sur le sacré de la vie
Pardon
de vous faire naître par milliers dans des armoires à incubation, de vous débecter à vif, de
laisser vos pattes fragiles se briser suspendues à une chaîne électrique, de se débarrasser
de vous par noyade, gazage ou hachés vivants, car inutiles dans la chaîne de production,
d’arracher vos plumes à vif, de vous tondre en hiver, de vous exterminer quand une
épidémie survient, de vous forcer à vivre au milieu des cadavres de vos congénères
Je chancelle, je défaille en vous imaginant mutilés, affolés, ne pressentant que trop bien
l’horreur qui marquera votre fin douloureuse
Ne pourrez-vous jamais nous pardonner ?
Pardon
De vous utiliser comme cobayes pour une crème cosmétique qui n’a jamais effacé nos rides,
d’arracher votre fourrure pour un manteau que nous jetterons l’année prochaine, de vous
abandonner sur un parking d’autoroute sous un soleil de plomb, de vous élever pour finir
comme cibles de ball trap ; de vous exposer comme objets de foire, de vous achever lors de
spectacles sanguinolents
Je pourrais poursuivre sans fin la litanie d’atrocités commises à votre égard, mais je n’en ai
plus le courage. Les images s’entrechoquent, plus violentes les unes que les autres, les cris
résonnent, plus terrifiants les uns que les autres. Mais nous continuons, comme si la
satisfaction de nos papilles spoliées et de nos ventres repus était votre seule raison d’être,
serions-nous devenus des démiurges voraces et insatiables détruisant tout ce qui a été créé
sur leur passage ?
Ne pourrez-vous jamais nous pardonner ?
Pardon
Au nom de tous ceux
Qui ne savent pas, détournent le regard ou pensent ne pas avoir le choix
Qui se sont perdus, loin de la vie, de la compassion, dans les affres sordides d’un enfer voué
au gain, à l’inhumain, au désamour
Pardon
Ne pourrons-nous jamais nous pardonner ?
Christine Delsol
Janvier 2021